Eh oui, on est dans le journal apres notre visite au Temple de Lalesh, le lieu saint des Yezidis. En gros caractere sur la Une est meme ecrit 'Le plus bel endroit qu'elles n'ont jamais vu' (On a dit ca, nous ?). Apres cette tres legere corruption, on espere avoir des tours de taxis gratuits dans Dohuk...
L'automne parvient doucement a notre paisible ville de Dohuk, au creux des montagnes. Il faisait brouillard aujourd'hui. On se serait cru perchees dans les nuages. Francoise a trouve ce caprice du ciel plutot deprimant. Moi je l'ai trouve totalement onirique et joyeux.
En fin d'apres-midi, nous avons rompu le brouillard pour nous balader dans le souk. Dans les allees etroites du marche, c'est une profusion d'odeurs, celles des bacs d'olives noires et luisantes, des legumes au vinaigre, de la cire qu'enduit sur les chaussures de son client le petit Gavroche sur le trottoir, ou encore du four a pains dans le coin. Il est 18 heures, la nuit commence a tomber. De petites lampes veilleuses partout illuminent les echoppes. Par la fenetre de leurs petits restaurants, les serveurs guettent un grand evenement. Quand soudain le souk se vide et nous nous retrouvons plantees la, toutes les 2, avec dans les bras nos pains chauds et notre chocolat que nous n'osions manger.
Nous venons de vivre notre premiere rupture du jeune en plein ... bazar.
Nous nous sommes rendues aujourd'hui avec un chauffeur et une voiture du ministre du tourisme a Zakho, petite ville frontaliere avec la Turquie et la Syrie, tout au nord de l'Irak. Nous sommes bien loin ici de ce qu'on imagine sur ce pays. Oui, nous avons rencontre un Irak heureux aujourd'hui.
Zakho est celebre pour son pont de pierres d'ou se jettent les enfants. On dirait que l'ete ne connait pas de fin ici.
La fin de notre sejour arrivant, la liste des amis pouvant nous offrir un toit s'amenuise.
On se retrouve parfois a aller faire l'aumone aupres de la paroisse de notre eveque.
Hier, on a loge dans une salle de condoleances...
Ce fut aujourd'hui la derniere etape de notre reportage sur les chretiens d'Irak. Nous avons suivi l'eveque d'Ainkawa, en peripherie d'Erbil, en visite dans un village chretien a 2 heures d'Erbil. Nous parcourons dans sa BMW de grandes routes droites magnifiques qui cisaillent la montagne.
Francoise et moi somnolons quand soudain une detonation retentie dehors a proximite de notre vehicule. Nous comprenons que la voiture devant nous vient de nous tirer dessus. Notre eveque n'est pas surpris, son pare-brise porte deja les stigmates d'une balle. Il ne s'agit pas de groupes extremistes mais de mercenaires americains convoyant sans doute quelqu'un ou quelque chose d'important. "C'est eux la racaille !", lance notre eveque.
Nous comprenons alors ce que vivent les Bagdadis sans cesse la cible de ces societes de securite americaine, du type Black Water, dont les mercenaires sont prets a tuer pour un mauvais regard.
Sur la route, notre eveque ralentit mais les voitures qui nous precedent ne comprennent pas et nous doublent. On s'attend alors au pire. Les voila qui s'approchent, comme nous, trop pres de ces trois etranges vehicules blindes. Cette fois-ci ce n'est pas un tir qui les repousse mais une torche incandescente. Avec chance, les objets n'atteignent pas les voitures. Par contre, le feu se propage sur les bas cotes de la route ou l'herbe est paille en cette fin d'ete. La file de voitures continue a rouler doucement derriere les mercenaires americaines au milieu de champs en feu.
Arrives au village chretien pour la messe, l'eveque donnera une intention de priere a l'assemblee pour nous 2 et nos parents...
Entre deux reportages, il arrive parfois de croiser d'autres journalistes etrangers. Or les reporters qui couvrent l'Irak, c'est pantalons multipoches, lunettes de soleil a l'Americaine, chemise Eden Park, chaussures a crampons, ordinateurs portables jamais bien loin.
Avec nos vetements sales de 10 jours, le decalage est forcement enorme.
Il arrive pourtant que le courant passe a peu pres. Et cela donne cette photo, prise par un photographe du New York Times.
C'est une rencontre que nous preparions depuis longtemps. Ces femmes ont fait le choix de consacrer leur vie a une lutte revolutionnaire. Elles ont pour la plupart une trentaine d'annees et cela fait plus de 10 ans qu'elles vivent dans les montagnes au nord de l'Irak ou elles combattent Turquie, Iran et Syrie.
Leur ideologie, tres proche du Marxisme, repose non seulement sur l'independance d'un Grand Kurdistan regroupant les Kurdes de Turquie a ceux d'Irak, de Syrie et d'Iran mais aussi sur la stricte egalite entre homme et femme.
Difficile pour nous de comprendre leur combat de feministe quand on les voit plutot inhiber le fait qu'elles soient des femmes en adoptant des silhouettes et des manieres d'hommes.
C'est que le feminisme, pour elles, c'est la liberation des femmes kurdes, c'est etre aussi fortes qu'un homme : "Au Kurdistan, nous sommes oppressees 2 fois : parce que nous sommes Kurdes et parce que nous sommes des femmes", nous dira l'une d'elle.
Leurs idees sont ce qu'elles sont mais reste que leur quotidien interpelle. Dans ces montagnes, elles vivent dans des abris qu'elles ont creuse sous terre, portent la mitrailette et sont capables de parcourir 60 km en une journee. La nuit, quand les bombardements menacent, elles doivent toutes se separer et se disperser sur les montagnes. Car l'ennemi, elles l'affronteront seules.
Juste un message pour dire que tout va bien. Nous mettrons des nouvelles tres bientot...
Nous venons de passer un week-end fabuleux de rencontres, de paysages, de paroles.
Par un premier miracle, nous sommes atterries vendredi matin (premier jour du week end ici) dans un petit village totalement coupe du monde, au creux des montagnes kurde, habite exclusivement par des chretiens. Notre reportage sur les chretiens d'Irak pouvait debuter.
Nous sommes tombees dans un jour d'effervescence : Tout le village preparait une grande fete pour le soir a l'eglise. Des notre sortie du taxi, on nous a offert a boire, a manger a chaque fois dans une maison differente. La plupart de ces habitants ont recemment fui Bagdad, passant ainsi d'une vie de citadins a une vie rurale. Chacun nous raconte "son" exil. Et tous nous parlent d'un meme lieu qui les a fait revenir dans ce village perdu : un monastere ou vivaient des freres dominicains dans les annees 60 reduit depuis 20 ans en ruine. Le site se trouve a "deux montagnes du village" a 1h30 de marche.
C'est ainsi que nous avons passe la nuit chez nos hotes dans la plus grande simplicite.
A 5h le lendemain, nous etions levees et pretes a attaquer la marche avec des jeunes du village comme guides. La-haut, des troupeaux de moutons aux longues oreilles et une riviere.
Avec Francoise, nous nous sommes alors regardees en nous demandant comment nous etions parvenues la veille dans ce village, puis avions dormi la pour maintenant etre dans un lieu si magique.
